André Tulard — Wikipédia

André Tulard
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
André Louis Henri TulardVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activité
Enfant
Autres informations
Distinction

André Tulard, né André Louis Henri Tulard le à Nérondes et mort le à Paris 13e[1], est un haut fonctionnaire français connu pour avoir créé sous le régime de Vichy un ensemble de fichiers des Juifs de l'ancien département de la Seine : le « fichier Tulard »[2]. Il était sous-directeur du service des étrangers et des affaires juives à la préfecture de police de Paris[3] de 1940 à 1943[4].

Il est le père de l'historien Jean Tulard, né de son union en 1932 avec Hélène Bouissy (1900-1986).

Biographie[modifier | modifier le code]

Sous-directeur au « Service des étrangers » de la préfecture de police de Paris où il était entré en 1921, qui devint sous Vichy « Service des étrangers et des affaires juives »[5], il élabora ainsi le « fichier juif » utilisé pour la rafle du Vélodrome d'Hiver des 16 et , qui recensait près de 150 000 personnes, dont plus de 64 000 sont de nationalité étrangère. Sous la Troisième République, André Tulard avait déjà réalisé un premier fichier pour la Préfecture de police de Paris qui recensait les « communistes »[6].

La première ordonnance nazie relative au statut des Juifs en zone occupée, publiée le [2],[4],[7], oblige les Juifs à se déclarer comme tels entre le 3 et le [7] dans les commissariats de police et sous-préfectures[2],[4],[7].

Le régime de Vichy promulgue le le premier Statut des Juifs. Dans le seul département de la Seine, 149 734 personnes[4],[7] se présentent dans les commissariats. Les renseignements obtenus sont recueillis par la préfecture de police, qui constitue, sous la direction d'André Tulard[4], un ensemble de quatre fichiers (alphabétique, par nationalités, par adresses, par professions)[7] représentant au total 600 000 fiches[4],[7]. Selon le rapport Dannecker[8] « [...] ce fichier se subdivise en fichier simplement alphabétique, les Juifs de nationalité française et étrangère ayant respectivement des fiches de couleur différentes, et des fichiers professionnels par nationalité et par rue ». Il a été ensuite transmis à titre gracieux à la section IV J de la Gestapo, chargée du « problème juif ». Le fichier sera principalement utilisé pour l'organisation de la rafle du Vélodrome d'Hiver, les 16 et [4].

André Tulard rencontre ainsi le SS Dannecker le , dans ses bureaux de l'avenue Foch, en préparation de la rafle, accompagnant Jean Leguay, les commissaires de police François et Émile Hennequin et d'autres policiers[9]. Le , lors d'une nouvelle réunion au siège du Commissariat général aux questions juives (CGQJ), à laquelle André Tulard n'assiste pas, mais où sont présents Jean Leguay, Pierre Gallien, adjoint de Darquier de Pellepoix (chef du CGQJ) et d'autres policiers (ainsi que des représentants de la SNCF et de l'Assistance publique), le SS Rötke note que « le directeur Tulard compte sur un chiffre global de 24 000 à 25 000 arrestations. »[10]. Deux jours plus tard, le , André Tulard remet sa démission[11], laquelle est refusée ; le préfet de police Amédée Bussière, qui avait entériné la rafle du , aurait craint le passage du fichier au Commissariat général aux questions juives[12]. Le fichier a de toute façon été utilisé. Le , André Tulard reçoit des ordres directement du SS Rötke, visant à organiser les prochains convois de déportation (les 22, 24 et )[13]. Il devient alors directeur du service des étrangers[14].

André Tulard participe aussi à la logistique de l'attribution des étoiles jaunes[15].
Avec nombre de commissaires de police affectés au sein de la Préfecture de Police, il est présent, fin , à l'inauguration du camp de Drancy, lieu ultime avant les camps de concentration et d’extermination.

S'étant élevé le contre la dénaturalisation des Juifs français[16], André Tulard est écarté du service à la demande du chef de la Gestapo, Karl Oberg[17], le [18].

Il n'a fait l'objet d'aucune poursuite à la Libération[3].

Il meurt chez lui, 3 square Arago à Paris 13e le 3 février 1967 à l'âge de 68 ans.

Décoration[modifier | modifier le code]

Le « fichier juif »[modifier | modifier le code]

Le , la circulaire d'Édouard Depreux, ministre de l'Intérieur ordonne la destruction de « tous les documents fondés sur la qualité de Juif », en application de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental[19]. Le , une seconde circulaire du ministre, dont au moins un exemplaire a été conservé à la préfecture d'Évreux, vient préciser la première. « Je vous invite en conséquence à maintenir, le cas échéant, dans vos archives, les documents relatifs aux enquêtes, sévices et arrestations dont les personnes considérées comme juives ont été victimes, lorsque ces documents peuvent présenter des avantages pour de telles personnes, par exemple, en permettant la recherche et le regroupement d’individus disparus ou dispersés, ou la délivrance de certificats de déportation ou d’arrestation »[20]. Une partie des fichiers a été conservée au moins un certain temps.

Le , le Canard enchaîné affirme que le fichier des Juifs de la région parisienne serait au centre de la gendarmerie, à Rosny-sous-Bois[19]. La CNIL lance un appel aux administrations. Elle ne reçoit aucune réponse, les archivistes ne s'étant pas sentis délivrés par cette demande de leur obligation de réserve, et conclut qu'aucun fichier, ni à Rosny-sous-Bois, ni ailleurs (par exemple au Service des Anciens Combattants), n'a été trouvé, tout en précisant que de « larges zones d'ombre subsistent »[21],[19]. Elle souligne qu'aucun inventaire de destruction d'archives ne les mentionne[19], le sénateur Henri Caillavet montrant par là son souci de ne pas mettre en cause ouvertement l'institution des Anciens combattants tout en faisant comprendre que le fichier est toujours là.

C'est dix ans plus tard, à l'automne 1991, que Serge Klarsfeld pense avoir découvert le « fichier Tulard » au service d'archives des Anciens Combattants, à Fontenay-sous-bois, en consultant un inventaire confidentiel, sous le nom de « Grand fichier établi par la préfecture de police en . »[19]. Devant ce qu'il considère comme de l'inertie bureaucratique, Serger Klarsfeld alerte Le Monde, qui publie un article les 13 et [22]. L'historienne Sonia Combe se rend à son tour aux archives des Anciens combattants et constate que l'inventaire officiel répertorie le fichier sous l'intitulé « Fichier Drancy »[23]. Le rapport Gal soulignera plus tard la « culture du secret » imprégnant l'administration des archives, le secrétaire d'État Louis Mexandeau parlant d'« omerta »[24].

En , Jack Lang nomme une commission chargée de déterminer le sort du fichier. Cette commission comprend les historiens René Rémond (président du Conseil supérieur des Archives), Jean-Pierre Azéma, André Kaspi ainsi que Jean Kahn, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et Chantal Bonazzi, conservateur général de la section contemporaine des Archives de France. La commission produit deux documents déjà recensés par les archivistes de la Préfecture de Police de Paris qui établissent que des opérations de destruction ont eu lieu les 15 et dans un premier temps, le dans un second temps. Elle les publie en deuxième annexe de son rapport après y avoir joint les arrêtés, instructions, procès-verbaux, notes et courriers afférents[25]. En application de l'article 3 de l'ordonnance du ainsi que de la circulaire d'Édouard Depreux en date du , ce pilon tardif visait des papiers concernant le « recensement des Israélites, personnes et biens, fiches et dossiers ».

Les conclusions de la « Commission Rémond » restent contestées par des spécialistes de l'histoire des archives, dont Sonia Combe, qui estiment que le fichier du service d'archives des Anciens Combattants est le « fichier Tulard »[24]. Ceux-ci s'appuient notamment sur la nature matérielle du support employé, sa forme, ses couleurs, son atelier d'impression, son mode d'utilisation. Ils soulignent que les procès-verbaux de destruction mentionnés par la commission n'établissent pas qu'il s'agit de destruction totale.

Certains ayants droit, qui n'ont jamais reçu d'offre d’indemnisation, ce qui était l'objet déclaré de la conservation du fichier, ont demandé la destruction de celui ci au nom de la loi Informatique et Libertés qui prohibe les fichiers contenant des « données sensibles » sur « l'origine ethnique ou raciale »[26]. Inversement, le Mémorial du martyr juif inconnu a réclamé de pouvoir le conserver.

Outre le « fichier Tulard », la Belgique a eu un fichier des Juifs, moins perfectionné et effectué par les Allemands, de même que l'Italie fasciste (2 600 fiches de Juifs établies en 1938 par la police italienne pour la « Direction générale de la démographie et de la race »)[27].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Base Léonore
  2. a b et c (en) Michael Curtis, Verdict on Vichy – Power and prejudice in the Vichy France regime, Arcade Publishing, 2003, 419 p. (ISBN 1559706899 et 978-1559706896), p. 159 [lire en ligne sur books.google.fr (page consultée le 11 mai 2009)]
  3. a et b French children of the holocaust – A memorial, Serge Klarsfeld, page 1825, sur le site holocaust-history.org, consulté le 15 mai 2009
  4. a b c d e f et g ldh-toulon.net, LDH Toulon, « Le fichage des Juifs », 11 octobre 2007
    « Dans le département de la Seine, le recensement est effectué par les services de la préfecture de Police : 149 734 hommes, femmes et enfants juifs, dont 64 070 Juifs de nationalité étrangère, se firent ainsi recenser durant le mois d’octobre, soit environ les neuf dixièmes des Juifs français et étrangers qui habitaient alors la région parisienne. À partir des bulletins de déclaration, un système de quatre sous-fichiers conçu par André Tulard, sous-directeur de la direction des étrangers et des affaires juives jusqu’en juillet 1943, fut mis en place : un sous-fichier alphabétique, un sous-fichier par nationalité, un sous-fichier par domicile, un sous-fichier par profession, soit quelque 600 000 fiches, qu’on prit l’habitude d’appeler le « fichier Tulard ». »
  5. Rajsfus 1995, p. 109.
  6. Michel-Louis Lévy, « Le numéro INSEE : de la mobilisation clandestine (1940) au projet Safari (1974) », Dossiers et recherches de l'INED, no 86, [PDF] [lire en ligne], p. 23-34, sur le site ined.fr, la mention d'André Tulard apparaît page 28: « Hélas les services de police organisèrent rafles et déportations à partir de leurs propres fichiers, adaptés de celui mis au point avant-guerre à la Préfecture de Police par André Tulard pour surveiller les menées communistes. ». Sur la non implication du SNS, voir René_Carmille#Rapport_Rémond
  7. a b c d e et f Éric Conan, « Les fichiers de la honte », L'Express, 4 juillet 1996 [lire en ligne sur lexpress.fr (page consultée le 11 mai 2009)]
  8. Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC-XXVI I), cité par Rajsfus 1995.
  9. Rajsfus 1995, p. 117.
  10. CDJC-XXV b 60, cité par Rajsfus 1995, p. 120.
  11. Annette Kahn, Le Fichier, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 28
    Résumé de sa carrière où est mentionnée sa démission.
  12. « Une lettre de M. Jean Tulard », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. CDJC-XXV b 86, cité par Rajsfus 1995, p. 125-126
  14. Rajsfus 1995, p. 125 et 155.
  15. Rajsfus 1995, p. 106-107.
  16. Rémond, Azéma et Kaspi 1996: Les protestations de ce dernier sont indiquées p. 29.
  17. Les critiques sont citées dans Rémond, Azéma et Kaspi 1996, p. 82
  18. Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, éd. LGF – Le Livre de Poche, Paris, 1990 ; rééd. 2004, 971 p. (ISBN 2-253-05247-7 et 978-2253052470), p. 556
    Citant à la note 90 le rapport des Allemands contre André Tulard.
  19. a b c d et e Combe 1994, p. 96-98.
  20. Archives départementales de l’Eure, cote 14 W 91, Évreux.
  21. Sonia Combe cite le 3e rapport d'activité de la CNIL.
  22. Combe 1994, p. 99.
  23. S. Combe, « Le fichier des Juifs : enquête sur une disparition. », France Culture, Paris, 11 & 12 juillet 1992.
  24. a et b Combe 1994, p. 100 et 202.
  25. Rémond, Azéma et Kaspi 1996, p. 82.
  26. Combe 1994, p. 101.
  27. Combe 1994, p. 125.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]